mardi 30 mai 2017

Super Riders (Lin Chen-Wong, Taiwan/ Japon, 1975)

Au milieu des années 70, la pop culture audio-visuelle nippone cartonne aux quatre coins de l'Extrême Orient. En Corée du Sud, où tous les produits importés du Japon sont interdits (récente et traumatisante occupation du premier par le second expliquant cela), les mangas se vendent au marché noir comme des petits pains chauds. A Hong Kong, Taïwan ou en Thaïlande, les récits de super-héros font aussi un tabac auprès des jeunes. Parmi ceux-ci, les aventures de Kamen Rider, qui ont d'abord vu le jour sous la forme de héros de BD, sont parmi les plus côtés. Et à juste titre. Ce manga créé par Shotaro Ishinomori possède une noirceur détonante et des personnages en proie à des problèmes de conscience comme on en trouve peu dans le genre. Alors que les thèses pullulent en Occident sur les super-héros anglo-saxons, on désespère toujours de voir quelque ouvrage, ou même simplement article, décortiquer en profondeur l'univers des super-héros nippons. Il y a beaucoup à dire, bien plus que les éternelles caricatures sur fond de mentalité post-coloniales qui ressortent constamment sur les tokusatsu (productions à SFX, souvent utiliser de nos jours pour désigner les super-héros). Transhumanisme, écologie radicale, crainte du nucléaire mais aussi des aspects plus réacs comme la peur de l'étranger sont parmi les nombreux thèmes qui soutiennent ces séries. Bref. 
 L'engouement pour les super-héros nippons donne un jour une idée à un producteur de Taipei : pourquoi ne pas sortir sur le territoire un film mettant en scène les célèbres Kamen Rider(s) ? Le problème, c'est que les adaptations cinéma existantes sont très courtes, entre 30 et 40 minutes. Soit un potentiel extrêmement limité pour le marché local et quasi-inexistant pour l'international. Possiblement motivé par la sortie de la coproduction nippon-thailandaise Hanuman and the Five Riders (tripatouillage de Five Riders Vs King Dark avec de nouvelles scènes), notre bonhomme décide alors de faire un remontage de plusieurs productions mettant en scène les Kamen Rider(s). Tout en rajoutant des scènes tournées spécialement pour l'occasion, mettant notamment en scène l'acteur martial Lee Yi-Min, bien connu pour le délirant Heaven and Hell (1979) de Chang Cheh. Des mélanges comme ça, l'amateur de cinéma populaire le sait bien, ne peuvent donner au final qu'un film passablement hallucinant. Continuité foutraque, acteur apparaissant puis disparaissant sans véritable raison ou étant remplacé par son « double » chinois... Super Riders est une expérience visuelle particulière. Et qui peut effectivement justifier les mauvais échos que les récits de super-héros japonais se coltinent de ce côté du monde depuis des décennies. Mais c'est aussi un authentique plaisir coupable. Le genre de film que l'on regarde en douce, sans s'en vanter auprès de ses amis cinéphiles ne jurant que par la nouvelle vague française. Parce que Super Riders c'est du pur plaisir enfantin. Des bastons qui n'en finissent pas, des sauts dans les airs à tire-larigot, des poursuites sauvages en MBK dans des terrains vagues, des méchants aux costumes conçus sous LSD... Il serait facile de se prêter au jeu toujours facile (quoi que souvent jouissif) du dézinguage critique. Mais ce serait passer totalement à côté de ce qui fait l'intérêt du film. Super Riders ne prétend pas être un « grand » film. Ni même un « bon » film d'ailleurs. Par contre, niveau divertissement, il sait sacrément bien y faire. Beaucoup plus en tout cas que Star Wars II ou Jurassic Park.
Après être sorti sur les écrans français il y a bien longtemps, puis en VHS dans une édition longtemps convoitée par certains amateurs, voilà que le film ressort en double DVD (avec Impact 5, polar taïwanais dont on reparlera peut-être un jour), au format et avec son magnifique doublage VF vintage qui contribue tant au plaisir de visionnage. Bonus amoureux : l'équipe de mordus de TokuScope fournit un commentaire audio passionné du film. Que demande le peuple ?! C'est bien simple : du pain, du beurre demi-sel et des super-héros japonais !

samedi 20 mai 2017

The Peony's Whisper (Vincent Guilbert, Japon, 2016)


Il existe deux types de documentaires. Ceux que la télé chérit, où un sujet est évoqué de manière chronologique, factuel, avec une voix-off nous donnant toutes les informations nécessaires à la compréhension. Et puis il y a ceux, plus subtils, où le réalisateur cherche à témoigner (ou attester) d'un sujet sans passer par les schémas classiques de mise en scène propre aux documentaires mainstream et en cherchant à développer un véritable regard. Vincent Guilbert est un adepte de cette seconde catégorie.

Japonais d'adoption, Guilbert vit à Tokyo depuis une dizaine d'années. Ses sujets de prédilection concernent des personnalités atypiques, souvent quelque peu en marge. Son documentaire sur le chanteur Costes a d'ailleurs fait sensation lors de l'édition 2016 de L'étrange festival. Son dernier travail en date, The Peony's Whisper (Le murmure de la pivoine en VF), ne déroge pas à la règle et nous invite à rencontrer Akira Naka, l'un des grands maîtres du bondage par cordes. Les adeptes de roman porno et, plus largement, d'érotisme japonais sont immanquablement tombés sur des films dépeignant cette pratique bien particulière - notamment ceux inspirés des écrits de Oniruku Dan et mettant en scène Naomi Tani. Mais nul besoin d'être un cinéphage érotomane ou un adepte du S&M pour se plonger tête la première dans ce film. Car The Peony's Whisper dépasse totalement les prémices salaces qu'une telle rencontre pouvait faire espérer pour nous offrir un portrait kaléidoscopique passionnant d'un Japonais arrivé à la moitié de sa vie. L'une des nombreuses qualités du film, c'est qu'il aborde en filigrane de nombreux sujets que l'on ne s'attendait pas à trouver dans un tel contexte : le racisme (le beau-père de Naka est Coréen), les préjugés (l'un de ses amis d'école est un burakumin) et même plus largement le sens de la vie. Oui, rien que ça. Guilbert suit au plus près Naka et ses modèles, délivrant un portrait complexe d'un homme et son « art » (il n'aime pas que l'on évoque ce qu'il fait ainsi). Après l'avoir suivi pendant plusieurs années et avoir accumulé quelques 150 heures d'images, il avait de quoi faire. The Peony's Whisper surprend (et fascine) et réussit au final à donner une image tout en douceur d'un homme qui gagne sa vie en faisant souffrir et pleurer des femmes. Toutes consentantes, ne l'oublions pas !

On s'est souvent amusé en France à rappeler que ce sont les Européens qui avaient permis à des cinéastes comme Akira Kurosawa ou, plus tard, Takeshi Kitano, d'obtenir une véritable reconnaissance dans leur pays. Vincent Guilbert va bientôt bénéficier d'une rétrospective à Tokyo, où seront présentés tous (ou presque) ses films. Il serait peut-être temps que quelqu'un fasse de même dans l'Hexagone...

Ghost in the Shell (Rupert Sanders, USA, 2017)

Depuis une quinzaine d'années (au plus bas mot), Hollywood procède à un rachat massif de droits de productions européennes et asiatiques. Cette dynamique témoigne de deux réalités. La première, c'est que Hollywood cherche à maintenir un trust cinématographique sur l'industrie mondiale du cinéma et ne souhaite pas permettre à des productions sud-coréennes, hongkongaises ou autre de venir grignoter un morceau du gâteau. Donc, on rachète les droits de Shiri ou Infernal Affairs, on en fait un remake, que l'on sort à grand fracas de campagnes publicitaires et de milliers de copies et on enterre de fait la production originale. Combien de spectateurs savent que Les Infiltrés est un remake de Infernal Affairs ? Et parmi ceux qui sont au courant, combien ont pris la peine de rechercher et visionner l'original ? Peu, les chiffres du box-office en témoignent.La seconde, c'est que Hollywood souffre cruellement d'un manque total de créativité. A l'heure actuelle, les scénaristes américains trouvent bien plus excitant de s'essayer aux séries télé ou aux productions indépendantes que de chercher à faire passer un récit novateur, dynamique et intelligent à des producteurs sclérosés, engoncés dans des schémas de pensée arriérés. Résultat, Hollywood ne sait plus faire de film intéressant, percutant ou rafraîchissant.
Dans le cas de Ghost in the shell 2017, l'argument massue rabâché par la production, c'est qu'il s'agit d'une adaptation live, au contraire du film original qui est anime. Sous-entendant par là que l'animation n'est pas un médium digne de ce nom et que seul le cinéma en prise de vue réelle mérite le statut de Septième Art. En quoi le passage en live est une justification suffisante pour légitimer un remake ? Cela reviendrait à dire à un peintre « c'est bien beau ce que vous faites, m'enfin une toile et des pinceaux, c'est tout de même pas très sérieux comparé au travail que peut abattre un sculpteur sur marbre ». Ghost in the Shell existe en tant qu’œuvre audio-visuelle, réalisée de main de maître par un certain Mamoru Oshii, où peut donc bien être l'intérêt d'en confectionner un remake ? Ne cachons pas qu'avant même de rentrer dans la salle, la question nous titille furieusement. Mais Sanders a tout de même le droit au bénéfice du doute et on s'assoit donc bien sagement dans la salle...
Adapter Ghost in the Shell au cinéma, avec des acteurs, est un projet qui remonte déjà à 2008, lorsque Spielberg et Dreamwork posent une option d'adaptation. Il aura donc fallu au final huit ans pour que le projet voit finalement le jour. Plusieurs réalisateurs ont été évoqués, avant que ce ne soit finalement le nouveau venu Rupert Sanders (qui n'a comme bagage que Blanche-Neige et le chasseur) qui prenne la place du metteur en scène. Quant au scénariste crédité, il faut évoquer le sujet au pluriel vu qu'il n'y en a pas moins de trois qui se sont succédé de manière officielle et qui ont donc tous apportés des petits bouts d'histoire. Situation typiquement hollywoodienne où les producteurs virent à tour de bras les scénaristes jusqu'à ce qu'ils obtiennent non pas un bon scénario, mais ce qu'ils considèrent être une histoire facilement compréhensible et digérable. A ce niveau, pas de doute, Paramount et Dreamworks ont atteint leur objectif.
Le dossier de presse du film témoigne gentiment que « tout au long de l'écriture, du développement et du tournage, les producteurs n'ont cessé de s'inspirer du manga et du film d'animation ». La langue de bois mise de côté, le Ghost in the Shell de Sanders est purement et simplement un remake du film de Oshii. Le tout saupoudré de pompages (pardon, d'influences) secondaires provenant d'Innocence, de GITS Arise, de Pulse (le remake américaine de Kaïro), de Blade Runner...

Si l'on met de côté la production expérimentale, le cinéma tel qu'on le connaît et le pratique de nos jours est au commencement une histoire de mots. Un scénario. De par le choix même de produire un remake, deux des premiers plaisirs clefs d'un film – la découverte et la surprise – sont totalement absents ici. Et c'est donc d'un œil torve que l'on assiste aux aventures du Major que l'on connaît déjà bien. Mais le problème ne s'arrête pas là. Le GITS de Oshii est une œuvre complexe, à multiples niveaux – je renverrai ceux qui veulent en savoir plus à Mamoru Oshii, rêves, nostalgie et révolutions. Au contraire, le film de Sanders est d'une platitude linéaire effarante de banalités et de lieux communs. Et le seul thème que le film réussit à développer c'est celui ultra-usité à Hollywood de : les robots peuvent-ils être humains (et vis-versa) ? Oh-mon-dieu-tout-mais-pas-ça.

Le GITS de Sanders est d'une vacuité abyssale. Il n'y a pas une seule idée dans son film. Ce qui devient véritablement gênant lorsqu'on le voit recopier à la lettre moult scènes du GITS de Oshii, sans en comprendre le sens ni la portée. On a l'impression d'être face à un chien savant qui répète les tours que lui a appris son maître. En parlant de chien, Sanders et ses scénaristes ont bien évidemment inclus un basset, portant de surcroît le nom de Gabriel – le nom d'un des bassets de Oshii. De quoi satisfaire le geek/ otaku de base pensent-ils, qui pourra à ce moment étaler sa science auprès de ses voisins dans la salle. Idem pour un petit clin d’œil à Avalon. Oh, que c'est jouissif ! Comme c'est bien trouvé ! Non, cela frôle tout simplement le pathétique. Comme si ce n'était déjà pas suffisamment pesant d'assister à un pompage en règle (oups, pardon, à un plagiat... ah non, ce n'est toujours pas ça, à « une création influencée par ») Oshii, si l'on doit se coltiner en plus des références grossières sans aucun intérêt.

Il y a aussi – et cela avait été pointé du doigt dès les premiers échos de casting évoquant Scarlett Johansson dans le rôle principal – le problème du « blanchiment » du récit. Sujet qui nous ramène à l’introduction de ce papier. Depuis ses débuts, Hollywood n'a jamais pu tolérer que des acteurs ne rentrant pas dans un moule 100 % beige de peau puissent être à la tête de grosses productions. Et qu'il est donc préférable de racheter des franchises, films ou séries mettant en scène des acteurs ne rentrant pas dans le moule John Wayne/ Vivien Leigh afin d'en délivrer des versions 100 % assimilables KKK. Il n'a donc jamais été question que la Major Motoko Kusanagi puisse être interprétée par une Japonaise. Ou une Chinoise. Pour Hollywood, tout cela n'est qu'une histoire de bridés. Donc, la Major perd au passage son prénom au cinéma et n'est connue que comme... la Major. SPOILER – enfin bon, ça ne me semble pas spoiler quoi que ce soit, mais si ça se trouve, deux spectateurs coincés dans des grottes souterraines durant ces 45 dernières années seront peut-être surpris par ce twist ébouriffant. Là où l'histoire gagne véritablement en piquant, c'est que les scénaristes et les producteurs ont cherché à se couvrir vis-à-vis de ces attaques de blanchiment. Et que notre bonne Major est en fait bien... japonaise ! Si, si ! C'est juste que lorsque l'on a récupéré son cerveau, on l'a placé sur un corps de type européen. Voilà. Le plus incroyable, c'est que personne dans la production ne s'est rendu compte à quel point cette idée les enfonçait encore plus. Car au final, ce que Sanders et ses compères font, c'est rejouer de nouveau le cas Kung Fu : soit prendre le rôle d'un « asiatique » que l'on grime en européen. Et là, c'est le mauvais point en trop. Le coup de bambou derrière la nuque qui nous fait nous demander comment on a pu en arriver là...

Le film de Oshii était une œuvre subtile, riche, poétique. Le film de Sanders est vide et grossier. D'une manière typiquement hollywoodienne, la production tente de parer aux critiques concernant l'utilité d'un tel remake en en mettant plein partout à l'écran. La ville regorge d'hologrammes géants, de vie, de mouvements. Mais tout cela n'est au final que du remplissage. Il ne reste rien de l'attachement et des réflexions autour de l'urbanité qui hante non seulement GITS mais une grande partie de l’œuvre de Oshii. On en fout plein les yeux, parce-qu'on en a les moyens. Mais un million de grains de sable ne feront jamais rien d'autre qu'un désert.