dimanche 9 juillet 2017

Compte rendu du Neuchatel International Fantastic Film Festival 2017

Le festival de cinéma est un événement clef de la vie du cinéphage. Une expérience particulière qui propulse le gobeur de pellicules hors du temps et de l'espace. Abolies sont les notions de matin, midi et soir. Caduque devient son appréciation de sa géographie immédiate. A tel point que si l'événement qu'il attend le plus dans sa vie (l'apparition d'un monstre géant détruisant tout sur son passage) se déroulait dans la commune voisine, il n'en aurait même pas conscience... En festival, le cinéphage ne fonctionne plus que sur un seul mode : voir-le-plus-de-films-possible. Des anciennetés, des nouveautés, des films qu'il a déjà vus, des longs, des courts, des bons, des navets... Peu importe. Seul son insatiable appétit pour le 7ème Art doit être assouvi. Le temps s'écoule en terme de séances et de durée de films. Et son univers vital se réduit à sa chambre, les salles de cinéma et, avec un peu de chance, une épicerie située entre les deux qui lui permet d'étancher sa soif avec un pack de Valstar qu'il cache plus ou moins subtilement sous son imper.
Le NIFFF (Neuchatel International Film Festival), avec sa programmation proposant plus d'une centaine de productions, est devenu au fil des dix-sept années de son existence un point de convergence incontournable de la cinéphagie européenne. L'édition 2017 n'a pas failli à sa réputation et a proposé un vaste panorama de la production fantastique et asiatique (les deux mamelles du festival) actuelle, saupoudré de multiples rétrospectives. L'une d'elles rendait justement hommage au seul et unique Seijun Suzuki qui nous quitté en février de cette année. L'occasion pour nombre de spectateurs pas forcément familiers de ce franc-tireur de découvrir quelques classiques comme Branded to Kill (La Marque du tueur) ou Detective Bureau 2-3. Ainsi que certains de ses films plus tardifs (et beaucoup plus rarement diffusés en Occident) comme Zigeunerweisen ou le sublime Princess Raccoon, magnifique hymne à la vie et à l'amour qu'il réalisait à 82 ans.

Mon Ange
Du côté des différentes sections officielles, la cuvée 2017 nous a réservé de belles surprises. Avec en tête Mon Ange du Belge Harry Cleven, sublime et envoûtante histoire d'amour en caméra subjective entre un garçon invisible et une fille aveugle. Le pitch initial est déjà très bon, l'exécution est magnifique. Car l'idée de faire du garçon un personnage invisible nous permet de rentrer totalement dans sa peau ; son invisibilité étant un reflet du public, ce peuple de voyeur éternellement inassouvi. Jamais aucune implication personnelle ne fût aussi forte que devant ce film où le spectateur se retrouve en tête à tête avec Fleur Geffrier pendant une bonne heure. Lorsque l'on émerge à la fin et que l'on remarque tout plein de monde autour de nous, on est presque choqué que tant d'inconnus aient partagé ce moment d'intimité que l'on pensait unique et personnelle. Un énorme bravo aussi pour le travail sonore, l'un des plus éblouissants qu'il nous ait été donné d'entendre depuis bien longtemps.
Dans un genre bien différent, The Endless de Justin Benson et Aaron Moorhead (Spring) suit deux échappés d'une secte qui décident un jour d'y retourner. Les deux jeunes cinéastes, qui tiennent aussi les rôles principaux, signent un retour vers l'une de leur production précédente qui se révèle là aussi marquante. Petit budget très bien construit, The Endless prouve une nouvelle fois que rien ne remplacera jamais un scénario finement travaillé. L’atmosphère, les questions suscitées par le récit, la touche lovecraftienne (le film s'ouvre justement sur une citation du Maître de Providence) nous captive de bout en bout. Le film a été couronné du Prix de la critique.

A Dark Song
A Dark Song marque le premier passage au long de l'Irlandais Liam Gavin. Et pour un premier essai, ce cousin celte apporte un sacré coup de fraîcheur à la production fantastico-horrifique. Des centaines de films existent concernant les exorcismes et les rituels de magie noire, tout aussi bien dans la production américaine, qu'italienne, thaïlandaise ou hongkongaise. Mais au final, le rituel, pourtant clef dans le déroulement et le développement du récit, ne dure que quelques minutes. Ici, Gavin consacre la quasi-totalité de son film au rituel lui-même. Idée géniale sur papier qui aurait pu se révéler casse-gueule à l'écran. Mais grâce aux deux excellents personnages centraux, soutenus par deux acteurs convaincants – Steve Oram et Catherine Walker, et une très bonne tenue du rythme, Gavin nous hypnotise de bout en bout. L'histoire serait apparemment inspirée d'un rituel que Aleister Crowley aurait pratiqué au début du 20ème siècle... Toujours outre-Manche, Alice Lowe réalise, écrit et tient le rôle principal de Prevenge dans lequel une femme enceinte se met à suivre les conseils de son fœtus et dézingue tous ceux – principalement des hommes – qu'elle croise. Si l'histoire possède un petit air de ressemblance avec Baby Blood de Alain Rozak (encore une de ces voix du cinéma de genre français qui n'a pas réussi à se faire entendre), le traitement et les intentions de Lowe sont bien différentes. Et si le film fonctionne tout particulièrement bien, c'est que Lowe est effectivement enceinte jusqu'au cou ! D'où un contenu qui prend un poids et un sens bien particulier. Premier long réussi pour cette actrice récurrente de la production anglaise.

Le Serpent aux milles coupures
Comme on vient d'évoquer Rozak, un petit passage par la France s'impose avec le dernier de Eric Valette, Le Serpent aux milles coupures. Valette est l'un des rares cinéastes français amateur et adepte du cinéma de genre qui réussit à perdurer et à enchaîner des films de qualité. Si vous êtes passé à côté (est-ce possible?!) ruez-vous tout de suite sur Maléfique, La Proie et Une Affaire d'état. Le Serpent est une adaptation du mystérieux DOA, qui suit plusieurs récits divergents à base de racisme, de guerre des gangs et de trafics qui finissent, bien évidemment, par se rejoindre. Valette est particulièrement bon dans ses choix de casting et sa direction d'acteur, et Le Serpent en est probablement l'exemple le plus frappant. Tomer Sisley, extrêmement convaincant dans la peau d'un preneur d’otage, le hongkongais Terence Yin, méconnaissable en assassin sud-américain, Erika Sainte, Stéphane Debac, Gérald Laroche et tellement d'autres qu'il est impossible de tous les citer. Tous viennent soutenir un récit parfaitement ficelé qui est déjà à classer parmi les meilleures productions hexagonales de 2017. Un grand dommage que le film ait été retiré si rapidement des affiches en France...
L'Extrême Orient n'était de son côté bien évidemment pas en reste. Before we vanish de Kiyoshi Kurosawa comptait, assez naturellement, parmi les grands attentes du festival. Et le film se révèle une vraie surprise, Kurosawa réussissant à se renouveler tout en gardant certaines de ses grandes thématiques. Possédant des touches de Zebraman (pour la recherche barrée des ET) et de Parasyte (pour ces ET qui ne réussissent pas vraiment à utiliser et comprendre les humains), Before we vanish possède un ton jovial étonnant dans la cadre du travail de Kurosawa. Le bougre sait y faire et prouve qu'il n'est pas devenu qu'une bête de festival ne sachant que pondre des films arty parfois barbant.
Mon Mon Mon Monsters
A Taïwan, Mon Mon Mon Monsters, second long de l'écrivain Giddens Ko, était aussi très attendu. Une descente dans les affres des brimades adolescentes avec une créature qui se retrouve capturée par des gamins sadiques. Changeant de tons comme seules les productions de Hong Kong ou Taïwan sont capables de le faire, MMMM (c'est plus simple comme ça) déstabilise et désoriente le spectateur en le faisant passer de scènes légères à des passages d'une rare rudesse. Très efficace.
Impossible de ne pas évoquer non plus Have A Nice Day, dessin-animé de Chine Pop qui s'est vu retiré de la programmation du dernier Festival d'Annecy suite à des pressions du gouvernement de Pékin ! Le réalisateur Liu Jian signe un anime kitanorien qui a effectivement de quoi offenser les autorités dictatoriales chinoises. Alors que le plus gros de la production locale nage dans une béatitude de blockbuster vide d'une rare niaiserie (voir l'horripilant Kung Fu Yoga avec un Jackie Chan ayant perdu toute sa splendeur), Liu délivre une vision noire et mordante de la société chinoise. Un polar sur fond de génération no future, qui place Liu comme l'une des (si ce n'est LA) voix les plus importantes de la production de Chine.
Afin de ne pas rendre ce compte-rendu indigeste à lire sur le web, on conclura sur quelques autres films marquants comme Colossal de Nacho Vilagondo, hommage au kaiju et film rédempteur pour son auteur ; le film d'action cambodgien Jailbreak avec la star du MMA local Tharoth Sam ; le nouveau De la Iglesia (couronné du Méliés d'argent) El Bar qui détonne par le ton méchant qu'il prend dans sa seconde partie ; la fable adolescente Super Dark Times (Grand prix du festival) et ses échos à la Stand By Me...
Le cinéphage en goguette revient repu de cette incursion en Suisse. Il ne lui reste plus qu'à entamer un dur travail de désintoxication afin de revenir à un rythme de visionnage de seulement ou deux films par jour... Vivement la prochaine édition !

Have A Nice Day

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